la-photo-texte-n2« Les racines d’un souffle »

C’était au milieu de l’hiver, les troncs montaient dans le ciel gris et froid. Chargée de tout mon matériel, je parcourais la forêt sans pouvoir me sentir m’immerger en elle. Quelque chose me retenait sur ses bords… Et, dans leur imperturbabilité muette les arbres venaient souligner un doute qui s’insinuait peu à peu en moi. Il fallait peindre ! Peindre pour interrompre ce silence, interroger ce doute, atteindre son seuil. Mon pinceau entreprit le dépassement. En suivant chaque branche, chacun de ses mouvements il me fit accueillir des rythmes, des musicalités comme le fait un doigt scrutant les syllabes des mots pour le déchiffrement d’un texte. La forêt s’ouvrait à moi tel un grand livre m’invitant à lire ses pages mystérieuses qui incarnent nos propres mystères*. Ainsi, pour moi, peindre c’est lire autant qu’écrire. Me vient une image, celle des liseuses de Fragonard qui, en feuilletant les pages d’un livre créent un lien sensuel incarnant la transmission d’un savoir universel. Pour peindre, j’ai besoin comme ces liseuses, d’un contact fort avec la nature, sentir une sorte de circulation entre les êtres de la forêt et mon pinceau. Lorsque ce sentiment ne me rejoint pas c’est alors qu’arrivent le trouble, le doute. « Les racines d’un souffle » est né de ces turbulences qui, en prenant appui sur ce qui l’a généré m’a fait faire ce « pas de coté » et ainsi peindre dans un abandon de soi au pur instant de l’acte. C’est la peinture qui me fait voir ce que mes sens ne peuvent percevoir. C’est elle qui, grâce à la qualité de ma disponibilité accueille les signes énigmatiques de la forêt. Cela exige une « écoute sur le fil », une grande concentration, une disponibilité qui doit être la plus totale. Ce n’est pas toujours facile, la peinture peut évoluer vers des facilités, des choses convenues, déjà vues. Tant que la toile ne m’étonne pas, je continue. Elle doit me surprendre pour que je m’arrête. A une étape de son évolution, ma toile devenait très « bavarde », trop de choses… J’ai alors fermé les yeux, et, retrouvant « une écoute de lisière », en m’abandonnant à celle qui : « Quand elle est intense l’écoute est visionnaire : ils voient les voix »**, « Les racines d’un souffle » m’est apparue dans la fulgurance de gestes d’effacement. Des traces bleues et blanches vinrent comme souffler ce qui était de trop, affirmant une présence qui m’était restée invisible.

* Annie Lebrun : La forêt insoumise – Musée d’art contemporain Zagreb. ** Erri De Luca dans : « Sur les traces de Nives »